L’arrivée d’un enfant est l’équivalent d’un tremblement de terre dont les secousses sont parfois subtiles et indirectes. C’est un événement qui va obliger à une réorganisation de la relation de couple. Passer de deux à trois va demander à chacun une démarche de décentration et de clarification de sa position et un rééquilibrage des rôles (homme/femme, mari/épouse, papa/maman, père/mère, professionnel/professionnelle).
L’habileté des enfants est, nous le savons, de réactiver à tout moment l’ex-enfant qui est en nous et donc de nous déstabiliser, de nous décentrer de notre position d’adulte, d’entretenir le réactionnel en nous (tendance à agir et réagir) au détriment du relationnel (possibilité de rester consistant dans le lien et l’échange sans surenchérir en accentuant les rapports de force ni s’effondrer ou se culpabiliser). Par ailleurs leur créativité étonnante pour réveiller nos peurs et nos angoisses, va faire que nous allons intervenir ou faire surtout (même si nous nous en défendons) par rapport à ces peurs et non pour leurs besoins et attentes réelles, à eux. Un peu plus tard ils pourraient d’ailleurs apprendre à se dégager de cette emprise en osant nous dire : « Maman si tu as peur quand je sors le soir, il va falloir faire quelque chose pour tes peurs, car le fait de les déposer sur moi ne m’aide pas et même, me met en difficulté… »
« Papa, il se peut qu’avec mes mauvais résultats scolaires je réactive le souvenir de tes propres difficultés scolaires et les humiliations que tu as subies, mais je ne peux rien pour tenter de réparer toutes cela propres blessures à ta place. Je ne suis que ton fils et je ne peux pas tout pour toi. Il va falloir que tu te confrontes à tes propres démons, sans compter sur moi. Notre relation en sera d’ailleurs sûrement allégée et moins tumultueuse ».
- Avec les enfants (avec les adultes aussi) se rappeler que derrière toute question il y a une autre interrogation que celle qui est mise en avant, une demande implicite ou une attente non formulée directement. Plutôt que de leur poser des questions, il serait préférable de les inviter à se dire par une invitation ouverte : «Je ne sais si tu as envie de me parler de ce qui s’est passé pour toi en classe aujourd’hui ».
« Je te vois sursauter chaque fois que le téléphone sonne et te précipiter. Si tu pouvais m’en dire un peu plus, cela m’éviterait de faire des gaffes ou de raccrocher quand l’autre au bout du fils est déçue que ce soit moi ! »
- Ne pas confondre sentiment et relation. « Je t’aime et mon amour pour toi n’est pas remis en cause par ce que tu as fait ou dit et qui peut me gêner, m’irriter ou me blesser même. Mais c’est important pour moi de te dire que je suis vraiment en colère quand je vois comment tu t’es comporté». Une des façons de différencier le registre des sentiments et celui de la relation est de pouvoir renoncer à recourir systématiquement à l’expression “J’aimerais que…”. Eviter ce genre de formulation n’induit pas l’enfant à amalgamer la référence à l’affectif et les enjeux de la relation et ne l’entraîne pas à penser qu’il sera plus aimé s’il s’exécute ou moins aimé s’il n’obéit pas. « J’aimerais que tu prennes ta douche. J’aimerais que tu arrête d’embêter ta sœur. J’aimerais que tu éteignes cette foutue télévision devant laquelle tu es scotché depuis trois heures !»
- Apprendre à leur faire des demandes claires, précises et fermes (et les renouveler autant de fois qu’il est nécessaire) sans culpabilisations, accusations, comparaisons ou reproches. «Je te demande de prendre ta douche, de faire tes devoirs et j’insisterai autant de fois qu’il le faudra, jusqu’à l’exiger. Mais quand je suis dans l’exigence, cette manière de dire et de faire, cela nous infantilise tous les deux. Ce n’est pas ce type de relation que j’ai envie d’avoir avec toi, jusqu’à 18 ans !»
- Apprendre à poser des interdits clairs, précis et les renouveler autant de fois qu’il est nécessaire, sans entrer dans la plainte, le chantage, la menace ou la culpabilisation, en ne cherchant pas à tout expliquer ni à justifier le moindre de ses refus. «Je vis très mal quand tu m’empruntes des sous vêtements ou ma lingerie, pour aller au collège. Je suis d’accord pour t’en prêter ou faire des essais le dimanche ou quand nous sommes en vacances, mais pas pour que tu les portes à l’extérieur de la maison» (Inutile d’entrer dans les détails et d’en dire plus sur les motifs du désaccord).
- Ne pas confondre sanction et punition. La sanction est la réponse adaptée à une transgression. Elle est adaptée dans le sens où elle tombe au nom d’un interdit, d’une loi, en référence à un règlement intérieur ou un code posé en dehors et au-delà de celui qui prononce la sanction. « En roulant à 100 km/h en agglomération, je prends le risque d’être arrêté, de payer une amende et de me faire enlever des points à mon permis de conduire ». La sanction peut être une réponse énoncée dans un but de réparation des dommages causés. «L’objet que tu as au supermarché du coin, nous allons le ramener et le payer avec ton argent de poche…» « Pour les dégâts que tu as causés sur les murs de la classe je te demanderai de venir mercredi après-midi pour faire les nettoyages nécessaires ». La punition c’est la tentation d’ajouter une contrainte supplémentaire à la sanction. C’est une intervention plus arbitraire, énoncée sans une référence tierce, et qui procure une certaine jouissance à celui qui prononce le châtiment : « Puisque tu as volé, tu seras privé d’argent de poche ! » Ce qui n’aidera pas du tout l’enfant à… ne pas voler !
- Accepter de négocier avec soi même pour entendre où se situent nos propres priorités, plutôt que de tomber dans un harcèlement à répétition autour de demandes ou de refus. « Ce qui me semble urgent actuellement c’est de te demander de faire ta toilette, de t’habiller et de prendre ton petit déjeuner. Je préfère renoncer à te faire réviser tes leçons et à te demander de cirer tes chaussures…»
- Ne pas confondre leurs besoins (qui doivent être satisfaits ou comblés à court ou moyen terme) et leurs désirs qui eux, peuvent être entendus, valorisés, sans les disqualifier ou tenter de les dévalorisés en faisant appel à des arguments en rapport avec la réalité. Leur apprendre à mieux différencier le désir (qui est dans l’imaginaire de celui qui l’a), et sa réalisation (qui l’inscrit dans la réalité). « J’ai bien entendu ton désir d’avoir une moto, je ne vais pas répondre à ce désir, mais tu peux me dire ce que toi tu penses faire dès maintenant pour la réalisation de ce désir, qui pourra se concrétiser dans dix-huit mois quand tu seras en âge de passer le permis moto ! ».
- Pouvoir les accompagner dans leur vécu quand ils affrontent des situations imprévisibles ou atypiques (violences, rencontres malsaines) ou qu’ils se laissent entraîner à des comportements déviants (prise de drogue, racket, agressions). «Je souhaite que tu puisses me dire, ce qui s’est passé, ce qui t’as entraîné à faire cela, ce que tu as éprouvé ou ce qui a traversé ton esprit… Ce n’est pas ce que tu as fait qui me mobilise mais comment tu l’as vécu ! »
- Ne pas confondre la personne et le comportement. « Ce sont tes résultats scolaires négatifs qui m’angoissent et déclenchent une réaction de colère en moi. Je ne te confonds pas avec tes résultats, je ne te vois pas comme quelqu’un de négatif que j’ai envie de rejeter».
- Renoncer à chercher le pourquoi, l’explication d’un acte, d’un comportement ce qui entraîne le plus souvent des justifications (ou des mensonges) pour mieux entendre que les comportements sont des langages avec lesquels un enfant tente de dire l’indicible. «Je ne sais pas ce qui s’agite en toi, ni ce que tu tentes de dire, et à qui tu veux le dire, quand je te vois te ronger les ongles, mais ce doit être sacrement important, quand je vois mesure toute l’énergie et la ténacité avec lequel tu le fais !»
- Tenter d’entendre le langage des maux avec lesquels les enfants expriment l’indicible. «J’ai remarqué que chaque fois que je m’absentais plusieurs jours, ton corps se mettait en difficulté et en souffrance en tombant, en se cassant un doigt, en se coupant. S’il pouvait mettre des mots peut être serait il possible d’éviter de le crier avec des maux ! » Il ne s’agit pas de faire avec nos enfants des interprétations (pseudo) psychologiques, mais de les sensibiliser au fait qu’ils disposent pour tenter de se dire, d’une plus grande variété de langages qu’ils ne l’imaginent.